* * *
Comme prévu,
Bayreuth 2010
ne nous a réservé nulle
surprise.
Le Lohengrin de M.
Neuenfels se déroule pour une bonne part dans une
sorte de laboratoire aux parois blanches, où les armées brabançonnes sont
transformées en armées de rats géants de laboratoire, les épouses en souris
blanches, et le reste à l'avenant. Le talentueux chanteur Jonas Kaufmann a
obtenu un succès mérité. La direction orchestrale d'Andris Nelsons s'est avérée
énergique, dramatique et subtile. Très bien. Mais la valeur d'une production
wagnérienne, à Bayreuth, peut-elle se résumer à cela ? Qu'elle soit servie par
des interprètes de talent, c'est bien la moindre des exigences que l'on peut
avoir ; mais le drame wagnérien ne relève pas du bel canto et ne peut tout
entier reposer sur la virtuosité de ses interprètes. Ou bien alors, il faut
désormais se résoudre à écouter les retransmissions radiophoniques... ou à
fermer les yeux.
Parce que, à moins d'être singulièrement sourd à
ce qu'exprime la musique, le hiatus est devenu tel, entre ce que l'on entend et
ce que l'on voit sur scène, qu'il faut se couper en deux, littéralement, pour
pouvoir apprécier un spectacle du genre de celui offert au public de Bayreuth
par le sieur Neuenfels, dont il vaut mieux rire, tant il est grotesque et
affligeant.
Car nous sommes ici dans la logique de ce qu'il
est désormais convenu de qualifier de "Regietheater" - terme destiné à
dissimuler la prise de pouvoir dans les théâtres et opéras du tout-puissant
metteur en scène, auquel est laissé toute liberté de transformer à sa guise,
selon ses fantasmes et/ou des options idéologico-politiques, les œuvres qui lui
sont confiées.
Christian Merlin affirme, dans Le Figaro, que la dite
production est d'une « étonnante cohérence ». Je
veux bien l'admettre. Mais d'une « étonnante
cohérence » par rapport à quoi ? A la musique et au livret de Richard
Wagner ? Allons donc ! D'une « étonnante
cohérence » par rapport à la lecture que M. Neuenfels fait de l'œuvre? Nous
voulons bien le croire. Est-ce là, désormais, la seule limite à
l'interprétation, pour reprendre le titre d'un ouvrage d'Umberto Eco ? Autrement
dit : pour autant que je sois cohérent avec moi-même, alors je peux faire tenir
n'importe quel discours à une œuvre ? Se rend-on bien compte du danger que
représente une telle option ?
La seule vraie nouveauté vient de Mme Katharina
Wagner - mégère toujours pas apprivoisée - qui a décidé d'inviter des disc
jockeys à venir mixer la musique de Wagner à Bayreuth... Dans le
Festspielhaus?... Ce serait logique, après tout... Si l'on ne tient aucun compte
des indications scéniques explicitement notées par Richard Wagner dans ses
partitions, pourquoi devrait-on s'interdire de s'attaquer aux notes et aux
livrets ?
Il n'est pas jusqu'à la villa Wahnfried dont les abords vont se
transformer en une sorte de parc d'attractions wagnérien, pour le bicentenaire de la
naissance de Wagner en 2013... Songerait-on aussi (Pourquoi pas?) à déplacer la
tombe de Wagner? N'est-elle pas quelque peu encombrante? Non, ne froncez pas les
sourcils... Je ne suis sans doute pas très loin de la vérité... N'en doutez pas : le Bayreuth
de Richard Wagner et de tant d'artistes qui ont su servir son œuvre, est bel et
bien mort. Requiem in pace.
* * *
Bayreuth 2011?
Faut-il en rajouter ?
Quatre œuvres au programme
:
Les Maîtres Chanteurs
de Katharina Wagner
:
ici, foin de Maîtres de chant. Ceux-ci ont fait place à des peintres ; Walther y
fait figure de barbouilleur à tout-va, tandis que le cordonnier Hans Sachs est
transformé en écrivain aux pieds nus. Les grandes figures de la culture
allemande apparaissent sur scène, Richard Wagner y compris, affublées de grosses
têtes caricaturales. Le reste est à l’avenant…
Parsifal de Stefan Herheim : Nous sommes dans les jardins de la villa de
Wagner, à Bayreuth, la villa Wahnfried et Parsifal nous narre le destin
de l’Allemagne depuis les années 30 (avec meneur de revue, S.A. et S.S. à croix
gammées) jusqu’à la naissance de la République Fédérale dans le Bundestag de
Bonn.
Lohengrin de Hans Neuenfels : ça se déroule dans un laboratoire aux parois
d’un blanc immaculé. Le chœur se divise quant à lui en deux groupes : des souris
blanches géantes et des rats noirs géants.
Enfin,
dernière production en date, Tannhäuser de Sebastian Baumgarten. L'action
se déroule dans un décor unique : une usine de retraitement biochimique, dans
laquelle la merde (excusez du peu) est valorisée, tandis que Venus,
enceinte, se terre dans la cave de la dite usine, parmi des créatures
monstrueuses.
Qu’il
me soit permis de faire volontairement abstraction de la direction d’orchestre
comme des voix. Qu’elles soient honorables, voire excellentes, c’est bien le
moins qu’on puisse attendre d’un festival aussi prestigieux. Mais ce n’est pas
suffisant. Bayreuth n’est pas le temple du Bel Canto. On ne se rend pas au
festival de Bayreuth pour entendre un orchestre, de belles voix… et fermer les
yeux.
Wagner
avait voulu faire de son Théâtre, le Festspielhaus, le lieu de
représentations modèles de ses œuvres, dans lesquelles musique, poésie du verbe
et dramaturgie devaient harmonieusement s’unir et se compléter. Aujourd’hui,
nous sommes loin, très loin de la réalisation d’un tel projet. Au lieu de cela,
on laisse s’exprimer sur la scène de Bayreuth l’ego surdimensionné de metteurs
en scène qui, au nom du concept de « Regietheater », s’arrogent le privilège de
revoir et corriger les œuvres de Wagner selon leur fantaisie, au détriment de la
liberté dont devrait pouvoir disposer chaque spectateur de comprendre l’œuvre
qui lui est présentée sur scène comme il l’entend…
De surcroît,
Bayreuth n'étant plus en mesure d'aligner des chanteuses, des chanteurs et des
chefs d'orchestre d'un haut niveau, on a décidé de s'y lancer dans un concours à
la provocation, question de faire parler de soi. Quel rapport avec l'Art? A vous
d'en juger. Pour ma part, je ne vois plus désormais, en Bayreuth, qu'une foire
aux vanités grotesques, dans laquelle l'œuvre de Richard Wagner ne sert que de
faire-valoir à des hommes et à des femmes dépourvus de tout talent.
Autrefois, avant
chaque représentation, des dizaine de spectateurs en quête de ticket d'entrée se
baladaient aux abords du Festspielhaus munis de pancartes sur lesquelles se
lisait: "Suche Karte!" Il paraît que désormais, on peut voir de plus en plus de
spectateurs cherchant à se débarasser de leurs tickets d'entrée... Sans compter
ceux qui, à bout, décident de sortir du Théâtre en plein représentation... La
presse d'Outre-Rhin commence aussi à se montrer sévère à propos de la "qualité
artistique" du festival... Cela suffira-t-il à infléchir la surenchère dans le
registre du scandale? Pas sûr ! C'est bien dommage.
* * *
Bayreuth 2013...
De quoi Castorf est-il le nom ?
Après que Wim
Wenders a déclaré forfait, pour cause de mésentente, semblerait-il, à propos de
l'exploitation cinématographique de ce qui aurait dû être sa production du
Ring à Bayreuth, en 2013, à l'occasion du bicentenaire de la naissance de
Richard Wagner, le choix des co-directrices du festival s'est porté sur Franck
Castorf, directeur de la Volskbühne de Berlin. Ce qu'il faut en attendre?...
Pour se faire
une idée, eh bien ! justement le sieur Castorf vient juste de créer au Théâtre
de l'Europe-Odéon, à Paris (janvier 2012) sa "vision" de La Dame aux Camélias
d'après (c'est le moins qu'on puisse dire) Alexandre Dumas fils.
Dans sa critique
du spectacle, en date du 21 janvier 2012, dans Le Figaro-Magazine,
Philippe Tesson observe :
«Castorf a 60 ans. Il fut
un metteur en scène audacieux. Sa culture idéologique et sa longue collaboration
avec le communisme ont eu raison de son talent et de sa lucidité. Il est
pétrifié dans ses fantasmes originels. Il persiste à ratiociner sur
l'écroulement du monde, et n'a plus rien d'autre à dire. Il rabâche, il recycle
ses vieilles illusions sans avoir compris qu'un autre monde s'offre aujourd'hui
à nous qui ne se construira pas sur les reliques idéologiques, morales et
sociales du XIXe siècle. La déconstruction du romantisme qui est au cœur de
l'intention de ce spectacle n'est plus à l'ordre du jour, elle n'a aucun
intérêt. La pensée de Castorf n'est pas révolutionnaire, elle est rétrograde.
«Son esthétique est pire :
elle est celle du chaos. Là encore Castorf n'innove pas, bien qu'il franchisse
les limites de la tradition provocatrice qui fit naguère la fortune d'un certain
théâtre de la décadence et du caca. On s'étonne qu'une inattendue pudeur propre
à la morale bourgeoise l'amène à déconseiller son spectacle aux moins de 16 ans.
A 16 ans aujourd'hui on a déjà dépassé le stade anal auquel en est resté le
célèbre metteur en scène berlinois qui inonde de ses chiures la scène de
l'Odéon. »
A bon entendeur...
©Philippe Hemsen
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