Visite du Théâtre
Le RING de 1876
Le RING de 1896
L'ère Winifred
Le "Nouveau Bayreuth"
Wolfgang Wagner

Des « représentations modèles » - Qu'est-ce à dire ? Bayreuth, pour quoi faire? 

REQUIESCAT IN PACE
(actualité)

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Bayreuth 2010 

Bayreuth, 2011

 

Bayreuth, 2013...

 

Bayreuth... Un beau souvenir.

Bayreuth, aujourd'hui, ne doit encore son existence qu'au prestige de son histoire. On s'y rend, comme on se rend sur les lieux qui ont connu de grands événements historiques. A Waterloo, par exemple. Il y a des monuments commémoratifs, quelques objets dans des vitrines... Pour le reste, c'est une question d'imagination !

En cédant la place à la tête du Festival de Bayreuth à ses deux filles, Katharina et Eva Wagner-Pasquier, en 2008, Wolfgang Wagner leur a légué un bâtiment somptueusement restauré dans son état originel, une villa Wahnfried reconstruite. Et puis ?...

Et puis, rien !

C'est bien tout le problème de Bayreuth, aujourd'hui. Le Festspielhaus ne présente que des productions comparables à beaucoup d'autres, parfois même de moins bonne qualité que beaucoup d'autres, en termes de direction d'orchestre et de qualité des interprètes. C'est du reste ce que Nike Wagner (fille de Wieland), une autre prétendante à la succession de Wolfgang Wagner, a parfaitement compris, lorsqu'elle suggéra que plus rien ne justifiait le fait qu'on ouvrît le Festspielhaus une fois l'an, un mois durant, en juillet-août, et qu'on n'y présentât que des œuvres de Richard Wagner.

Pourquoi, en effet ? - La première production que présenta Katharina Wagner à Bayreuth, celle des Maîtres Chanteurs, en 2007, est affligeante. Après l'innommable Parsifal de Christoph Schlingensief (2004/2007), le grotesque Tristan und Isolde de Christoph Marthaler, l'insignifiant (dans tous les sens du termes) Ring ultra-marxiste de Jürgen Flimm, en l'an 2000, le Ring "conceptuel" de Tancred Dorst, que pourrait-on encore bien attendre, sur un plan artistique, de Bayreuth ?

Bon, d'accord. Il y a aussi la dimension mondaine du lieu. Lorsqu'il s'agit de Bayreuth, il est de bon ton de s'y montrer quand on est chancelier, chancelière, ministre, star de la tv et tutti quanti... Comme à Cannes, le jour de l'inauguration du fameux festival...

Pour le reste...

Richard Wagner a été dépossédé de son œuvre, à Bayreuth.

Les fossoyeurs se nomment feu Wolfgang et Gutrun Wagner, et maintenant leurs successeurs, Katharina Wagner et sa demi-soeur Eva Wagner-Pasquier.

Parsifal ? Revu et corrigé par les soins du sieur Herheim... Foin de toute spiritualité. C'est l'histoire de l'Allemagne depuis les années 30 (avec meneur de revue, S.A. et SS à croix gammées) jusqu'à la fondation de la R.F.A. et l'assemblée du Bundestag en lieu et place de la Communauté des Chevaliers du Graal...

Faut-il poursuivre ? A quoi bon?

On nous annonce pour l'avenir, outre le Lohengrin de l'été 2010 confié aux soins de Hans Neuenfels, un Tannhaüser façon Sebastian Baumgarten (en 2011), un Tristan de Mlle Katharina Wagner (en 2015) et en 2013 un nouveau Ring...

Rien à attendre, sur un plan artistique...

Sinon de l'attendu.

Parce que l'inattendu, ce serait une production qui en revienne aux fondamentaux, autrement dit à ce qui figure dans la partition : les notes, les paroles et les indications scéniques de Richard Wagner, le tout servi par un chef d'orchestre inspiré, des interprètes de talent et un metteur en scène suffisamment humble pour servir l'œuvre plutôt que s'en servir...

Cela dit - ô surprise ! - il a peut-être failli se produire, l'inattendu.

En 2006, en lieu et place du navrant Ring de Tancred Dorst.

*  *  *

Wolfgang Wagner avait en effet invité  le cinéaste Lars von Trier à mettre en scène le Ring.

Connu pour ses films volontiers provocateurs, il pourrait paraître étonnant qu'il ait été possible d'attendre de Lars von Trier une mise en scène vraiment inattendu, dans le sens où nous l'entendons... Et pourtant...

Le projet de mise en scène que Lars von Trier avait commencé à construire (il en exista des maquettes), dont il reste des  notes abondantes (en allemand et en danois), laisse entrevoir une conception de l'œuvre assez éloignée de celle - politique, principalement, lorsqu'elle ne vire pas à l'absurde - développée à satiété par les metteurs en scène depuis maintenant plus de trente ans !

Une conception qui, telle qu'elle apparaît, exposée par Lars von Trier dans un texte en anglais (voir ci-dessous), présente de curieuses affinités avec les ambitions émises en son temps par Sir Peter Hall, voire avec les scènes les plus réussies (la descente à Nibelheim, notamment) du Ring récemment réalisé par la compagnie Fura del Baus à Valence (Espagne).

En 2004, après deux années de travail, tandis que le projet était donc déjà bien avancé, Lars von Trier déclara subitement forfait. Officiellement, parce qu'il se sentait dépassé par le projet... Vraiment? A ce stade de la réalisation? Curieux, tout de même. Non?

D'autant plus curieux, si l'on se souvient de la manière dont furent traités, avec la dernière des grossièretés, Peter Hall et Georg Solti, lors de leur passage à Bayreuth, non seulement par la presse, mais aussi par les responsables du Théâtre (feu Gudrun Wagner et son cercle d'amis, notamment), lors du travail de préparation et de répétitions (Voir à ce propos l'ouvrage de Stephen Fay et Roger Wood, The Ring, Anatomy of an Opera - Secker & Warburg, London, 1984). Friedelind Wagner n'alla-t-elle pas jusqu'à déclarer, citant des propos de son frère s'adressant à leur mère (anglaise d'origine), durant la guerre, lors des bombardements : "Tiens ! V'là tes Anglais de merde (sic!) qui rappliquent une nouvelle fois."

Alors...? Simple hypothèse naturellement : et si Lars von Trier avait dérouté la direction du festival, non par un projet provocateur, susceptible de produire un bon petit scandale, mais au contraire par une conception, disons : trop "traditionnelle" du Ring...? Selon des témoignages de première main, les maquettes présentées à Bayreuth par Lars von Trier allaient tout à fait dans ce sens. Ce qui aurait conduit, non à évincer le prestigieux metteur en scène, bien évidemment, mais à le décourager en usant de multiples moyens plus ou moins détournés...

En 1982-83, n'eût été la présence de Sir Georg Solti, on en aurait probablement usé de même avec Sir Peter Hall.

Du reste, celui-ci, écœuré par la manière dont il avait été reçu, revint à Bayreuth en 1984, afin de parfaire sa mise en scène et d'apporter des améliorations aux décors, après quoi il confia à son assistant, Michael McCafferey, le soin de faire répéter les acteurs/chanteurs, en 1985 et 1986.

Ce qui valut à Sir Peter Hall de se voir pour ainsi dire dépossédé de sa production. Il fut dès lors mentionné au dos des photos vendus dans le kiosque du Festspielhaus qu'il s'agissait du Ring «nach» Peter Hall - autrement dit «d'après» Peter Hall. Ce faisant, on ne s'embarrassait pas du souvenir que, des années après sa mort, Wieland Wagner figurait toujours comme étant le réalisateur des productions présentées en son nom sur la scène du Festspielhaus... Mais bon.

La logique devrait aussi conduire, aujourd'hui, à mentionner que les productions présentées à Bayreuth sont «nach» Richard Wagner. Les Wagnériens innocents qui s'imaginent, après avoir fait leurs économies, aller retrouver un peu de l'esprit de Wagner à Bayreuth, sauraient du moins à quoi s'en tenir...

Texte (en anglais) de Lars von Trier sur sa conception du RING

 

*  *  *

Comme prévu, Bayreuth 2010 ne nous a réservé nulle surprise.

Le Lohengrin de M. Neuenfels se déroule pour une bonne part dans une sorte de laboratoire aux parois blanches, où les armées brabançonnes sont transformées en armées de rats géants de laboratoire, les épouses en souris blanches, et le reste à l'avenant. Le talentueux chanteur Jonas Kaufmann a obtenu un succès mérité. La direction orchestrale d'Andris Nelsons s'est avérée énergique, dramatique et subtile. Très bien. Mais la valeur d'une production wagnérienne, à Bayreuth, peut-elle se résumer à cela ? Qu'elle soit servie par des interprètes de talent, c'est bien la moindre des exigences que l'on peut avoir ; mais le drame wagnérien ne relève pas du bel canto et ne peut tout entier reposer sur la virtuosité de ses interprètes. Ou bien alors, il faut désormais se résoudre à écouter les retransmissions radiophoniques... ou à fermer les yeux.

Parce que, à moins d'être singulièrement sourd à ce qu'exprime la musique, le hiatus est devenu tel, entre ce que l'on entend et ce que l'on voit sur scène, qu'il faut se couper en deux, littéralement, pour pouvoir apprécier un spectacle du genre de celui offert au public de Bayreuth par le sieur Neuenfels, dont il vaut mieux rire, tant il est grotesque et affligeant. 

Car nous sommes ici dans la logique de ce qu'il est désormais convenu de qualifier de "Regietheater" - terme destiné à dissimuler la prise de pouvoir dans les théâtres et opéras du tout-puissant metteur en scène, auquel est laissé toute liberté de transformer à sa guise, selon ses fantasmes et/ou des options idéologico-politiques, les œuvres qui lui sont confiées.

Christian Merlin affirme, dans Le Figaro, que la dite production est d'une « étonnante cohérence ». Je veux bien l'admettre. Mais d'une « étonnante cohérence » par rapport à quoi ? A la musique et au livret de Richard Wagner ? Allons donc ! D'une « étonnante cohérence » par rapport à la lecture que M. Neuenfels fait de l'œuvre? Nous voulons bien le croire. Est-ce là, désormais, la seule limite à l'interprétation, pour reprendre le titre d'un ouvrage d'Umberto Eco ? Autrement dit : pour autant que je sois cohérent avec moi-même, alors je peux faire tenir n'importe quel discours à une œuvre ? Se rend-on bien compte du danger que représente une telle option ?

La seule vraie nouveauté vient de Mme Katharina Wagner - mégère toujours pas apprivoisée - qui a décidé d'inviter des disc jockeys à venir mixer la musique de Wagner à Bayreuth... Dans le Festspielhaus?... Ce serait logique, après tout... Si l'on ne tient aucun compte des indications scéniques explicitement notées par Richard Wagner dans ses partitions, pourquoi devrait-on s'interdire de s'attaquer aux notes et aux livrets ? 

Il n'est pas jusqu'à la villa Wahnfried dont les abords vont se transformer en une sorte de parc d'attractions wagnérien, pour le bicentenaire de la naissance de Wagner en 2013... Songerait-on aussi (Pourquoi pas?) à déplacer la tombe de Wagner? N'est-elle pas quelque peu encombrante? Non, ne froncez pas les sourcils... Je ne suis sans doute pas très loin de la vérité...  N'en doutez pas : le Bayreuth de Richard Wagner et de tant d'artistes qui ont su servir son œuvre, est bel et bien mort. Requiem in pace.

 

*  *  *

Bayreuth 2011? Faut-il en rajouter ?

Quatre œuvres au programme :

Les Maîtres Chanteurs de Katharina Wagner  : ici, foin de Maîtres de chant. Ceux-ci ont fait place à des peintres ; Walther y fait figure de barbouilleur à tout-va, tandis que le cordonnier Hans Sachs est transformé en écrivain aux pieds nus. Les grandes figures de la culture allemande apparaissent sur scène, Richard Wagner y compris, affublées de grosses têtes caricaturales. Le reste est à l’avenant…

Parsifal de Stefan Herheim : Nous sommes dans les jardins de la villa de Wagner, à Bayreuth, la villa Wahnfried et Parsifal nous narre le destin de l’Allemagne depuis les années 30 (avec meneur de revue, S.A. et S.S. à croix gammées) jusqu’à la naissance de la République Fédérale dans le Bundestag de Bonn.

Lohengrin de Hans Neuenfels : ça se déroule dans un laboratoire aux parois d’un blanc immaculé. Le chœur se divise quant à lui en deux groupes : des souris blanches géantes et des rats noirs géants.

Enfin, dernière production en date, Tannhäuser de Sebastian Baumgarten. L'action se déroule dans un décor unique : une usine de retraitement biochimique, dans laquelle la merde (excusez du peu) est valorisée, tandis que Venus, enceinte, se terre dans la cave de la dite usine, parmi des créatures monstrueuses.

Qu’il me soit permis de faire volontairement abstraction de la direction d’orchestre comme des voix. Qu’elles soient honorables, voire excellentes, c’est bien le moins qu’on puisse attendre d’un festival aussi prestigieux. Mais ce n’est pas suffisant. Bayreuth n’est pas le temple du Bel Canto. On ne se rend pas au festival de Bayreuth pour entendre un orchestre, de belles voix… et fermer les yeux.

Wagner avait voulu faire de son Théâtre, le Festspielhaus, le lieu de représentations modèles de ses œuvres, dans lesquelles musique, poésie du verbe et dramaturgie devaient harmonieusement s’unir et se compléter. Aujourd’hui, nous sommes loin, très loin de la réalisation d’un tel projet. Au lieu de cela, on laisse s’exprimer sur la scène de Bayreuth l’ego surdimensionné de metteurs en scène qui, au nom du concept de « Regietheater », s’arrogent le privilège de revoir et corriger les œuvres de Wagner selon leur fantaisie, au détriment de la liberté dont devrait pouvoir disposer chaque spectateur de comprendre l’œuvre qui lui est présentée sur scène comme il l’entend…

De surcroît, Bayreuth n'étant plus en mesure d'aligner des chanteuses, des chanteurs et des chefs d'orchestre d'un haut niveau, on a décidé de s'y lancer dans un concours à la provocation, question de faire parler de soi. Quel rapport avec l'Art? A vous d'en juger. Pour ma part, je ne vois plus désormais, en Bayreuth, qu'une foire aux vanités grotesques, dans laquelle l'œuvre de Richard Wagner ne sert que de faire-valoir à des hommes et à des femmes dépourvus de tout talent.

Autrefois, avant chaque représentation, des dizaine de spectateurs en quête de ticket d'entrée se baladaient aux abords du Festspielhaus munis de pancartes sur lesquelles se lisait: "Suche Karte!" Il paraît que désormais, on peut voir de plus en plus de spectateurs cherchant à se débarasser de leurs tickets d'entrée... Sans compter ceux qui, à bout, décident de sortir du Théâtre en plein représentation... La presse d'Outre-Rhin commence aussi à se montrer sévère à propos de la "qualité artistique" du festival... Cela suffira-t-il à infléchir la surenchère dans le registre du scandale? Pas sûr ! C'est bien dommage.

 

*  *  *

Bayreuth 2013... De quoi Castorf  est-il le nom ?

Après que Wim Wenders a déclaré forfait, pour cause de mésentente, semblerait-il, à propos de l'exploitation cinématographique de ce qui aurait dû être sa production du Ring à Bayreuth, en 2013, à l'occasion du bicentenaire de la naissance de Richard Wagner, le choix des co-directrices du festival s'est porté sur Franck Castorf, directeur de la Volskbühne de Berlin. Ce qu'il faut en attendre?...

Pour se faire une idée, eh bien ! justement le sieur Castorf vient juste de créer au Théâtre de l'Europe-Odéon, à Paris (janvier 2012) sa "vision" de La Dame aux Camélias d'après (c'est le moins qu'on puisse dire) Alexandre Dumas fils.

Dans sa critique du spectacle, en date du 21 janvier 2012, dans Le Figaro-Magazine, Philippe Tesson observe :

«Castorf a 60 ans. Il fut un metteur en scène audacieux. Sa culture idéologique et sa longue collaboration avec le communisme ont eu raison de son talent et de sa lucidité. Il est pétrifié dans ses fantasmes originels. Il persiste à ratiociner sur l'écroulement du monde, et n'a plus rien d'autre à dire. Il rabâche, il recycle ses vieilles illusions sans avoir compris qu'un autre monde s'offre aujourd'hui à nous qui ne se construira pas sur les reliques idéologiques, morales et sociales du XIXe siècle. La déconstruction du romantisme qui est au cœur de l'intention de ce spectacle n'est plus à l'ordre du jour, elle n'a aucun intérêt. La pensée de Castorf n'est pas révolutionnaire, elle est rétrograde.

«Son esthétique est pire : elle est celle du chaos. Là encore Castorf n'innove pas, bien qu'il franchisse les limites de la tradition provocatrice qui fit naguère la fortune d'un certain théâtre de la décadence et du caca. On s'étonne qu'une inattendue pudeur propre à la morale bourgeoise l'amène à déconseiller son spectacle aux moins de 16 ans. A 16 ans aujourd'hui on a déjà dépassé le stade anal auquel en est resté le célèbre metteur en scène berlinois qui inonde de ses chiures la scène de l'Odéon. »

A bon entendeur...

©Philippe Hemsen

 

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