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Le RING de 1876
Le RING de 1896
L'ère Winifred

Les Décors de Wieland Wagner

 

Wolfgang Wagner

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WIELAND WAGNER
& LE "NOUVEAU BAYREUTH"

 Bayreuth,pour quoi faire?

   

     

On l'aura donc aisément deviné (voir "l'ère Winifred"), le mot d'ordre, après guerre, fut : "déblaiement"...

   Déblaiement de quoi - outre des ruines de Wahnfried...? Au fond, on se le demande. De quoi les oeuvres de Richard Wagner avaient-elles donc besoin d'être déblayées? - sinon de ce qu'on y avait projeté... Là encore, règne la plus grande confusion; car ce qu'on laisse finalement entendre, c'est que les oeuvres de Richard Wagner, en elles-mêmes, nécessitaient une sorte de "purification expiatoire". Or, comme nous l'avons vu précédemment, l'esprit des oeuvres de Wagner avait été respecté - là où il importe : sur scène - durant le IIIème Reich. Ce n'est pas du tout comme si l'on s'était mis, à cette époque, à interpréter scéniquement le Ring, Parsifal ou Les Maîtres Chanteurs dans des décors qui eussent évoqué les parades de Nuremberg, avec bannières à croix gammés et tout le saint-frusquin.

 

   Si déblaiement il devait y avoir, ce n'était donc pas sur la scène du Festspielhaus qu'il devait se produire, en premier lieu, c'était dans les esprits. Et dans ce cas, il aurait fallu faire appel à des hommes à l'esprit libre, qui, n'ayant en rien trempé dans le marais glauque du nazisme, n'auraient eu aucun compte à régler avec leur pays, leurs compatriotes, leur propre famille... voire avec eux-mêmes...

   Toute l'équivoque de la démarche entreprise, après guerre, avec le "Neue Bayreuth" (une expression inventée par la presse en 1951, selon Wieland) repose sur cette sorte de mélange hommes/oeuvres, les secondes servant aux premiers à se confronter avec leurs problèmes intimes...

   Il ne s'agit pas ici de contester le réel talent dont sut faire preuve Wieland Wagner dans les productions qu'il réalisa de 1951 - date de la réouverture du Festspielhaus -, à sa mort prématurée, en 1966. Il s'agit bien plutôt de se demander dans quelle mesure la démarche prônée par Wieland n'a pas ouvert la porte à toutes les interprétations scéniques qui ont vu le jour peu après, que ce soit à Bayreuth ou ailleurs, et qui, au nom du sempiternel "déblaiement" ont imposé aux spectateurs, sur scène, des transformations inacceptables des oeuvres de Richard Wagner. Wieland n'hésitait d'ailleurs pas à modifier jusqu'au contenu même des oeuvres, à effectuer des coupures dans la partition, afin qu'elles correspondent à ses idées. Ainsi, il supprima toutes les scènes parlées dans Fidelio; de même, lorsqu'il réalisa Orphée et Eurydique de Gluck, il supprima tout bonnement la conclusion heureuse de l'oeuvre, sous prétexte que celle-ci apparaissait alors "dans une profonde unité dramatique et humaine dont Gluck a certainement rêvé"(sic!)... Et quand Antoine Goléa, lors de ses Entretiens, note avec une certaine désinvolture que depuis que Wieland est le maître de Bayreuth «on coupe dans des partitions de Wagner», celui-ci ne le reprend pas... 

   Donc, après six années de fermeture, le festspielhaus rouvre ses portes le 29 juillet 1951, aux accents de la IXème symphonie de Beethoven, sous la baguette de Wilhelm Furtwängler. Au programme : Parsifal (direction : Hans Knappertsbuch), Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg (direction : Herbert von Karajan) et Le Ring (direction : Karajan et Knappertsbusch, en alternance) - mise en scène et décors réalisés par Wieland Wagner.

   Par la suite, Wolfgang Wagner qui, au début, s'était chargé essentiellement des questions administratives, se lancera à son tour dans la mise en scène, avec Lohengrin, en 1953; Tannhäuser, en 1954; Le Ring, de 1960 à 1964, et de nouveau de 1970 à 1975.

   Le parti-pris esthétique de Wieland et Wolfgang Wagner est a peu de choses près identique chez l'un et chez l'autre : stylisation symbolique, suggestion de l'espace et caractérisations de lieux par des éclairages recherchées, abstraction spacio-temporelle des décors et des costumes, gestuelle moins emphatique que celle qui était de rigueur précédemment, élimination de tous les "détails" techniques épineux dont la visualisation, sur scène, est aléatoire et qui, par conséquent, risquent de détruire l'illusion - et Dieu sait que le Ring fourmille de tels "détails" qui, de tout temps, ont posé problème aux metteurs en scène. Bref, Wieland a dépouillé le plateau, jusqu'à l'austérité pafois, de tout ce qui peut divertir l'attention du spectateur du drame qui est en train de s'y jouer.

    Wieland : «A la source, il y eut certainement un doute. Je me suis demandé si les représentations de Bayreuth, telles que je les voyais dans ma jeunesse, correspondaient aux dimensions spirituelles de l'oeuvre de Wagner. (...) Ce fut la musique qui constitua pour moi l'aspect essentiel de l'oeuvre de Wagner: la peinture, l'architecture, les décors et même le poème passèrent au second plan. En conséquence, le seul chemin possible pour moi a été celui du radicalisme esthétique et intellectuel. C'est radicalement que je voulais m'éloigner du Bayreuth de ce temps-là...» (in Entretiens avec A. Goléa)

   Le résultat?...

   Ici encore, il est à souligner en préambule qu'avec Wieland Wagner  s'est développé une sorte de "mise en avant" du metteur en scène, beaucoup plus accentué qu'autrefois, les polémiques, discussions, louanges que son travail suscitait ayant parfois tendance à prendre le pas sur l'oeuvre mise en scène.

   Quoi qu'il en soit, les productions de Wieland et Wolgang Wagner ont donné lieu à des résultats contrastés, allant du meilleur (Le Ring, Tristan, Parsifal) au plus contestable, avec, notamment, en 1956, la mise en scène par Wieland des Maîtres Chanteurs.

   Dans une lettre adressée en 1951 à Karl Hermann, Wieland Wagner écrivait:

   «Libérer l'élément purement humain de toute espèce de convention, c'est le but que Richard Wagner assignait à l'art. C'est vers ce même but que j'ai orienté toutes mes mises en scène de cette année. Plaçant au premier plan l'élément purement humain, j'ai éliminé toutes les formes de convention, aussi bien celles du théâtre lyrique que celles d'une certaine tradition wagnérienne sans jamais m'écarter le moins du monde des données de la partition.»

   Et il est un fait que là où Wieland a le mieux réussi, c'est dans l'évocation sur scène (que se soit dans le Ring, Tristan ou Parsifal, surtout) d'un "paysage intérieur" ouvert, intimement lié à la musique, s'opposant de la sorte aux habituels décors en trois dimensions dans lesquels l'action a tendance à s'enfermer comme dans une boîte de résonnance. Cela peut avoir ses avantages. Le parti-pris de Wieland était autre, voilà tout. Il donnait à voir..., comme la musique donne à entendre..., sans qu'aucun discours ne puisse cerner ne serait-ce que le contour de qui est ainsi donné à voir ou à entendre.

   Le danger qui menaça toutefois la conception wielandienne de la mise en scène des oeuvres de Richard Wagner, après qu'elle se fut imposée, était de se transformer en une sorte de nouvel académisme s'empoussiérant année après année (la "Société des Amis de Bayreuth" n'alla-t-elle pas jusqu'à proposer, en 1966, que la mise en scène de Parsifal soit considérée comme définitive et qu'elle soit placée sous la protection de l'administration des sites et monuments?...)... Du "déblaiement" effectué par Wieland, on assista donc, après la mort de celui-ci à une manière de "remblaiement" - d'abord timide, puis nettement plus provocateur, lorsque, en 1972, Wolfgang Wagner invita le metteur en scène est-allemand Götz Friedrich à venir donner un petit "coup de jeune" à Tannhäuser...

   Le  règne de l'hétéroclite commençait ainsi... pour le meilleur... et pour le pire.

   

Sur les conditions "juridiques" de la ré-ouverture du Festspielhaus :

(Extrait deEntretiens avec Wieland Wagner, Belfond, Paris,1967)

   Wieland : «La situation issue de la guerrre a fait que Winifred Wagner, qui était propriétaire du théâtre depuis la mort de mon père, a abandonné en 1951 la direction, qu'elle aurait, dans d'autres circonstances, conservée jusqu'à aujourd'hui, malgré notre majorité. Pour pouvoir continuer d'organiser les festivals sous la nouvelle constellation politique, nous avons conclu, mon frère et moi, un contrat de location avec notre mère. D'un point de vue familial, nous sommes les locataires du Festspielhaus. Par rapport aux pouvoirs publics et privés qui nous subventionnent, nous sommes les gérants de l'entreprise.» 

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Significatif est à cet égard le commentaire qu'apporte Wieland à propos de sa mise en scène d'Aïda, lorsque Antoine Goléa lui demande la raison pour laquelle la scène du triomphe de Radamès, qui se déroule habituellement en plein jour, se déroule, chez Wieland, en pleine nuit...

   Wieland : «A partir du moment où l'honneur et le devoir patriotique commandent à Radamès de renoncer à Aïda, la nuit se répand dans son âme; et cette nuit, pour lui, recouvre le monde entier.» 

    Ce qui, ici encore, a conduit Wieland à supprimer le ballet qui se déroule à cet instant, sous prétexte qu'il ne pouvait "se familiariser avec l'idée de faire danser dans la nuit spirituelle de Radamès, d'y laisser paraître, d'une façon plus générale, toute manifestation superficielle de joie."

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