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Wolfgang Wagner

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 Bayreuth,pour quoi faire?

    

S'il est, à Bayreuth, un personnage proprement "légendaire", il s'agit bien de Winifred Wagner, née Williams (Voir ici la Notice biographique). Que n'a-t-on pas raconté, colporté, affirmé (sans le début de la moindre preuve) à son sujet ?

   Winifred aurait transformé Bayreuth en épicentre culturel du régime nazi; elle aurait été, bien davantage qu'Éva Braun, la Première Dame du Reich auprès d'Hitler, qu'elle aurait sans doute épousé, n'eût été le testament de Siegfried, qui lui interdisait de demeurer à la tête du festival de Bayreuth au cas où elle se remarierait... Winifred aurait transformé le festival de Bayreuth en outil de propagande au service de J. Goebbels. Bref, elle aurait eu une attitude si condamnable durant toute cette période que sa propre fille, Friedelind, dégoutée, aurait préféré l'exil au confort compromettant de Wahnfried....

 

   Il est vrai qu'à la fin de sa vie, Winifred n'a rien fait pour arranger les choses, refusant de renier ses amitiés d'autrefois, notamment lorsque le cinéaste Hans-Jürgen Syberberg, dans le cadre de l'entretien-fleuve qu'il filma en 1976, lui demanda comment elle réagirait si, demain, Hitler venait frapper à sa porte et qu'il reçut cette réponse : «Je l'accueillerais comme l'ami qu'il a toujours été à la maison».

Le scandale fut tel, que Wolfgang Wagner dut se résoudre à interdire à sa mère de paraître durant le festival du Centenaire.

Winifred et Hans-Jürgen Syberberg, lors du tournage de Winifred Wagner et l'histoire de la Maison Wahnfried, 1914-1975

    Cela dit, au-delà des polémiques anecdotiques, il s'agit de se demander ce que sont les faits, au juste...

   Que Winifred Wagner ait entretenu des relations personnelles, amicales et très chaleureuses, avec Hitler ne souffre aucun doute.

   Mais la question essentielle, celle qui importe au premier chef, parce qu'elle ne concerne pas simplement une attitude d'ordre privé, est la suivante: Ces relations privilégiés qu'entretenait Winifred Wagner avec Hitler ont-elles influencé la direction artistique du festival de Bayreuth ? Et si oui, en quoi? Autrement dit: en quoi peut-on affirmer que le "Bayreuth de Winifred Wagner" était nazi, comme il semblerait que cela soit entendu?

   Winifred a répondu très clairement à la question, à maintes reprises. Aussi, laissons-lui la parole:

      «Les faits sont les suivants. Il est de notoriété publique que, duant sa jeunesse, Hitler s'était familiarisé avec les oeuvres de Wagner à l'Opéra de Linz et qu'il en était résulté chez lui une passion qui ne fit que s'accentuer au cours des années passées à Vienne, années au cours desquelles il manqua rarement une représentation de Wagner à l'Opéra National.

   «A l'automne 1923, cet enthousiasme conduisit Hitler à pénéter pour la première fois dans notre maison, ce qui fut à l'origine de notre longue amitié.

   «En 1925, Hitler fut à nouveau invité au festival par Edwin Bechstein et son épouse. A cette époque déjà, sa présence irritait de nombreux esprits. Aussi lorsqu'il quitta Bayreuth, Hitler me promit-il d'y revenir seulement lorsqu'il ne risquerait plus de porter préjudice à l'entreprise, et qu'au contraire il aurait l'espoir de pouvoir lui être utile.

   «Il respecta cette décision jusqu'en 1933, date à laquelle il devint un habitué des festival. Il est à préciser qu'il achetait ses cartes d'entrée, pour lui-même et son entourage. Dans l'enceinte du Festspielhaus, il n'admettait aucune ovation de la part du public, consigne qui fut strictement respectée.

   «Concernant l'embauche des artistes, Hitler n'exprima qu'une seule fois un "désir" : à l'occasion d'une nouvelle mise en scène de Parsifal, il proposa comme metteur en scène le célèbre artiste Alfred Roller, de l'Opéra National de Vienne. Malheureusement, à cette époque, Roller était déjà très malade et son travail ne nous donna pas entière satisfaction, de sorte que nous dûmes nous passer de sa collaboration, et que nous confiâmes le soin de réaliser de nouvelles esquisses à mon fils Wieland. Hitler se soumit sans protester à notre décision.

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 «Lorsque Goebbels exigea l'incorporation du festival de Bayreuth à la Chambre des Théâtres du Reich et que je m'y opposai en raison de certaines clauses dont le caractère était incompatible avec l'activité du festival, je m'adressai à Hitler, qui partagea mon opinion et récusa les exigences de Goebbels.

«(...) J'ajouterai que ni Tietjen (metteur en scène), ni Preetorius (décorateur), ni Furtwängler (chef d'orchestre) n'ont été membres du Parti et que, pour ma part, j'ai toujours eu la possibilité de travailler avec des collaborateurs juifs ou de parenté juive, jusqu'à leur émigration.» (paru in Nouvelle École, n°31-32, printemps 1979)

Il serait légitime d'exprimer des doutes quant à la véracité de tels propos, si la moindre preuve venait étayer pareil soupçon. Or, rien de ce que déclare ici Winifred n'a été ni ne peut être contesté! Les contorsions de Barry Millington (in Wagner, Guide Raisonné) sont à cet égards du plus haut comiques, quand il déclare dans la même phrase que "Bayreuth réussit à préserver une certaine indépendance" mais que "cela ne changea rien au fait que Bayreuth était désormais un instrument de propagande nazie". Allez trouver dans cela la moindre logique... "raisonnée"!

Sous la direction de Winifred, le festival de Bayreuth est demeuré totalement indépendant du pouvoir en place. L'influence de Goebbels, de ses séides, comme du Parti nazi, s'arrêta aux portes du Festspielhaus, jusqu'au bout. 
  Pour preuve ? Franz von Hoesslin ! Son cas est pour ainsi dire exemplaire.

   Chef d'orchestre réputé et de grand talent, von Hoesslin se voit pourtant refuser, sur interventions de Goebbels, la direction des opéras de Hambourg et de Munich, au motif que son épouse est juive, tandis que dans le même temps, il dirige Parsifal à Bayreuth, en alternance avec Richard Strauss. En butte à de multiples difficultés, von Hoesslin finira par se résoudre à l'exil, en Italie dans un premier temps, puis en Suisse.

   Pourtant... A l'appel de Winifred Wagner, Franz von Hoesslin reviendra diriger à Bayreuth en 1938, 1939 et jusqu'en 1940 ! Preuve en est qu'aux yeux de  Winifred Wagner, le talent primait sur tout le reste...

Franz von Hoesslin
(cliquez sur l'image pour de plus amples informations)

Après plusieurs années de recherches,  c'est du reste l'une des conclusions auxquelles est parvenue l'historienne autrichienne Brigitte Hamann - auteur, par ailleurs, d'un ouvrage remarquable sur les années viennoises d'Hitler -, dans un livre en préparation, consacré à Winifred Wagner... Un livre qui renversera, à n'en pas douter, bien des idées reçues sur l'attitude, durant l'époque nazie... non pas de Winifred, mais de Friedelind ainsi que de Wieland Wagner...

En outre, tout aussi peu contestable que l'attitude indépendante de Winifred vis-à-vis du pouvoir nazi est le fait que le festival de Bayreuth offrit au public, à  cette époque, quelques-unes des plus grandes productions de son histoire, que ce soit sur le plan scénique, orchestral ou vocal.

 Ayant su s'entourer de collaborateurs de talent - d'Heinz Tietjen (pour la régie et la direction orchestrale), Emil Preetorius (pour la mise en scène et les décors), notamment  - Winifred Wagner, deux ans à peine après la mort de Siegfried, sut renouveler le style des productions présentées à Bayreuth, rompant avec les décors en trompe-l'oeil, les trop nombreux accessoires et les costumes "réalistes". Elle sut par ailleurs attirer à Bayreuth quelques-uns des chefs d'orchestres et des  solistes parmi les plus prestigieux de son temps. C'est ainsi que se succédèrent au pupitre de la "fosse mystique" du Festspielhaus,Wilhelm Furtwängler, Richard Strauss, Victor de Sabata, Karl Elmendorff... tandis que, sur scène, résonnaient les voix de Maria Müller, Kirsten Flagstadt, Emmy Krüger, Germaine Lubin, Franz Völker, Max Lorenz, Rudolf Bockelmann, parmi d'autres - des voix si extraordinaires que les enregistrements qui en ont conservé le souvenir demeurent aujourd'hui encore parmi les plus recherchés.

Winifred et ses principaux collaborateurs - de l'arrière-plan au premier plan : Paul Eberhard (directeur technique), Emil Preetorius, W. Furtwängler, Heinz Tietjen

 

 Dans ces conditions, ne peut-on se demander si ce n'est là, précisément, ce qui est principalement reproché à Winifred Wagner : le haut niveau artistique qu'elle sut maintenir à Bayreuth, en dépit des ravages culturels perpétrés par ailleurs par le pouvoir nazi? Logique simpliste et perverse (qui, sur un autre plan, s'est aussi appliquée à Arno Breker), selon laquelle le pouvoir en place étant honni, rien, absolument rien de ce qui se fit à cette époque ne peut aujourd'hui mériter un quelconque jugement positif... De la sorte les vraies questions, autrement plus complexes et inconfortables, sont éludées - ce type de questions que posent sans ambage un George Steiner sur les rapports (ou l'absence de rapport...) entre l'art et la morale, par exemple.

   Mais si faire de Winifred le chantre d'une sorte de "nazification" de l'oeuvre wagnérienne se heurte aux faits, cela permet de justifier commodément toutes les manipulations ultérieures effectuées sur l'oeuvre de Wagner, sous prétexte de la "dénazifier"... Nul n'a à l'esprit de s'aviser que ce qui est de la sorte effectué sur scène (les interprétations marxistes, notamment, du Ring...), les Nazis ne se risquèrent que très exceptionnellement à l'accomplir. Pourtant, une oeuvre comme Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg se prêtait sans doute idéalement, de leur point de vue, à une "transposition" orientée dans le sens politique du moment... L'art est ainsi demeuré le dernier espace de liberté pour les Allemands, durant la période nazie, comme l'a souligné Wilhelm Furtwängler, après guerre, pour se justifier d'être resté en Allemagne. Quiconque assistait, durant ces années, au Ring ou à tout autre oeuvre de Wagner, dans le Festspielhaus, avait la pleine et entière liberté d'y voir...ce qu'il souhaitait - Hitler en Alberich ou en Klingsor, par exemple. Pourquoi pas? Nul - et à commencer par aucun des décorateurs et des metteurs en scène de l'«Ère Winifred» - ne chercha jamais à imposer au public des festivals de l'époque une quelconque interprétation orientée des oeuvres de Richard Wagner - bien malin serait celui qui pourrait déceler le moindre "relent nazi" dans les décors d'Emil Preetorius ou ceux d'Alfred Roller... 

   Et, à la vue de ce qui se passe, aujourd'hui, sur de nombreuses scène, on pourrait se damander si le respect d'une oeuvre et d'un auteur, le respect de la liberté dont doit disposer le public d'interpréter une oeuvre comme il l'entend, est aussi considéré comme une "valeur nazie"?... A moins qu'il ne s'agisse de ce que les psychologues appelle une "imitation contrastive"...? - à force de vouloir me démarquer de mon ennemi, je finis par lui ressembler dans mes faits et gestes...

 

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