Des légendes...
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(1983-1984)

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Choqué par la férocité de certaines attaques dont il était l’objet de la part des critiques, notamment allemands, Peter Hall se décida tout de suite après la première semaine du festival de Bayreuth de 1983, à diffuser auprès de la presse un texte dans lequel il apportait un certain nombre de précisions quant aux choix qu’il avait été amené à faire, en particulier au niveau esthétique.

Version orignale en anglais Traduction en français

 

“I believe that Richard Wagner elevated a fairy story into an adult myth, and that the craggy naïveté of the text for the Ring is at one with the period in which Wagner wrote the music. The romanticism is in the music, and I have tried to reflect that by remembering nature in the Ring; its background is the weather and the cosmos, it takes place on mountain tops and in water. The shelters built by human beings are all vulnerable to the power of nature -to fire and a river in flood.

Naturally I am interested in the political side of the Ring, but I think this has been so emphasized in recent years that the sensual side - not only the sexuality of Siegmund and Sieglinde, but the pure love of Brünnhilde - has been overlooked. I have concen­trated on the complete narrative story of the Ring, and this is com­plex and contradictory. It can, and perhaps should, mean differ­ent things to each individual who sees it. In his polemical and absorbing Ring in 1976, for instance, Patrice Chéreau told us that the revolution is coming, but the Ring does not say that to me at all. The revolution fails, and what the Ring tells me is that life goes on, seasoned by some forgiveness, some humanity, and some love; Fortinbras gives us the same message at the end of Hamlet.

If there is an intellectual inspiration for this Ring, it is not neo­Marxism, or Freudianism, or abstract expressionism. I suppose the production is most influenced by the Cambridge critic, F. R. Leavis, who taught me always to examine the text, and to have faith in it. In Wagner's text and music, I find a classical story of the conflict between power and love; of how heroic love eventually redeems characters who have been corrupted by power. This might sound simple but I believe in naïveté in the theatre. I would like this production, visually and in its actions, to make sense to a child.

Consequently, I have been as faithful as possible to Richard Wagner's stage directions, which are very specific. When the text calls for Rhinemaidens to swim in water, I want the audience to believe they are swimming in water. When the action moves between the various Kingdoms of the Ring - the mountain tops, the valley of the Rhine, and Nibelheim, under the earth - I want the audience to sense the journey.

With the highly mobile and visually beautiful platform, de­signed by William Dudley, I hope we achieve that feeling of movement. The mobile platform allows us to transform the naturalistic settings of the earth's surface to the real world of the gods. There should be no contradiction between the realism of the scenes involving the mortals, and the more abstract mountain top inhabited by the gods. And when Wagner asks for giants, a dragon, a huge worm, or a frog, we have tried to provide them. The realism helps us understand Wagner's nightmare metaphor.

Doing all four parts of the Ring in a single summer, as only Bayreuth does, is, of course, quite impossible. My experience is that, no matter how well prepared a director is, his ideas do not really take shape until he works with people on the stage. On the other hand, the idea of doing a complete cycle straight away appeals to me, because the whole story is told consecutively in one week. This is a great advantage over a Ring that is revealed gradually, in annual episodes. The emphasis on narrative means that each of the characters knows only his part of the story, and this narrative style is intended to create spontaneity, clarity and innocence. This is how I have tried to tell the story of the Ring.

 

Traduction

 

Je crois que Richard Wagner a fait d’un conte de fée un mythe pour adultes et que la naïveté du texte répond à celle de la période au cours de laquelle Wagner a composé sa musique : la période romantique, qui est là, présente, dans les notes, et que je me suis efforcé d'exprimer, pour ma part, en convoquant la nature sur scène ; parce que la nature se tient là, constamment, en toile de fond, avec le vent, les nuages, et le ciel, tandis que l’action passe du sommet des montagnes à la profondeur des gouffres. Quant aux abris que les hommes se sont construits, ils sont tous à la merci de la Nature et de ses Pouvoirs, à la merci du feu ou… d'une rivière en crue.

    Le caractère politique du Ring m'intéresse aussi, bien sûr ; mais je pense que l'on a tant insisté sur cet aspect des choses, au cours de ces dernières années, que le coté sensuel du Ring est passé au second plan – et je ne veux pas seulement parler de la sexualité qui s’exprime à travers les personnages de Siegmund et de Sieglinde, mais aussi de l’amour pur que Brühnnhilde porte en elle. C’est la raison pour laquelle je me suis concentré sur l'histoire même du Ring, sur l'ensemble du récit, dont la complexité et les contradictions ont retenu mon attention.

    Il est possible, voire même souhaitable, que le Ring signifie quelque chose d’autre pour chaque spectateur. Patrice Chéreau, par exemple, dans son Ring polémique et captivant de 1976, nous dit que la révolution est en marche. Fort bien. Mais en ce qui me concerne, le Ring me dit tout autre chose. La révolution échoue, mais la vie continue, avec juste une pointe de pardon, d'humanité et d'amour. Et tel est aussi le message que nous livre Fortimbras, à la fin de Hamlet.

    Si tant est que cette production-ci du Ring ait été inspiré par un courant d'idées, celui-ci n'aura été ni le néo-Marxisme, ni le Freudisme, ni l'expressionnisme abstrait. Je suppose que ma production du Ring est principalement influencée par F. R. Leavis, le critique de l'université de Cambridge. C'est lui qui m'a appris à examiner avec la plus vive attention le texte et à avoir foi en lui.

    Dans la musique de Wagner, je discerne un conflit classique entre le pouvoir et l'amour. Je vois aussi comment l'amour héroïque finit par rédimer les personnages qui ont été corrompus par le pouvoir. Assurément ceci n'a pas l'air bien simple ; mais je crois en la naïveté au théâtre. Ce que j'aimerais c'est que, visuellement tout comme au niveau de l'action, cette production soit accessible à un enfant.

    En conséquence, j'ai été aussi fidèle que possible aux indications scéniques notées par Wagner, lesquelles sont très précises. Ainsi, lorsque le texte requiert que les Filles du Rhin nagent dans de l'eau, j’ai souhaité que les spectateurs croient qu'elles nagent réellement dans l’eau. Lorsque l'action se déplace d'un des mondes du Ring à un autre - du sommet des montagnes à la vallée du Rhin, et de celle-ci dans les profondeurs souterraines du Nibelheim, - j’ai souhaité que les spectateurs ait de ces voyages une expérience sensible.

    Grâce au plateau, tout à la fois très mobile et visuellement superbe, conçu par William Dudley, j'ai bon espoir d’être parvenu à restituer ce sentiment de mouvement. Par sa mobilité, il nous permet en effet de passer du cadre naturaliste de la surface de la terre au monde des Dieux. Et il n’y a aucune contradiction entre le réalisme de certaines scène, qui évoque le monde des mortels, et le caractère plus dépouillé, plus abstrait des scènes qui se déroulent sur les cimes habitées par les Dieux. Par ailleurs, lorsque Wagner fait appel à des Géants, à un dragon, à un énorme vers ou à une grenouille, nous avons essayé, dans chaque cas, de les mettre sur scène. Le réalisme nous aide en effet à comprendre la métaphore cauchemardesque élaborée par Wagner.

    Bien sûr, faire les quatre parties du Ring en un seul été, comme c’est le cas ici, à Bayreuth, et nulle part ailleurs, constitue une gageure. L'expérience m'a appris que le degré de préparation du metteur en scène importe peu, lorsqu'il s'agit de mettre en scène. D’un autre côté, l’idée de devoir mettre en scène l’ensemble du Ring en une seule fois est extrêmement exigeante, car cela signifie que toute l’histoire sera racontée en à peine une semaine. Mais le fait de dévoiler ainsi toute l’histoire, en une seule fois, chaque année, peut aussi constituer un avantage, en ce sens que, si l’on met l'accent sur le récit, on fera en sorte que chaque personnage ne connaisse à fond que son propre rôle dans l'histoire, afin de donner lieu à une forme de spontanéité, de clarté et d’innocence, par le biais de ce style à proprement parler narratif. C'est ainsi, du moins, que je me suis efforcé de raconter l'histoire du Ring.

Peter Hall