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    D'où vient-elle, cette légende ? Mystère. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle revient régulièrement - et jusque dans la bouche, très récemment, du lamentable Gottfried Wagner dans son tout aussi lamentable ouvrage L'Héritage Wagner - un livre qui prend Richard Wagner comme prétexte à un règlement de compte familial, quand ce n'est pas à un règlement de compte très personnel de l'auteur avec lui-même...

   Le plus symptomatique dans l'affaire, c'est que Gottfried Wagner, poussant très loin la rage contre soi-même, s'est mis en quelque sorte à devenir plus juif qu'un Juif, afin de se livrer à ce que George Steiner - juif d'origine, lui - qualifie d'"Hystérie pure et simple, de mélodrame", lorsque, dans son roman Le Transport de A.H., il parle de ces Allemands qui "font semblant de porter le fardeau national, de sentir le passé peser sur leurs frêles épaules et le sang sur leur front."

     Tout ceci pour dire que la légende dont il est question tourne autour de cette Grande Affaire de l'antisémitisme de Richard Wagner, à laquelle Éric Eugène a consacré une étude très honnête et très perspicace dans Historia (Décembre 1998, n°624). Après avoir souligné que Richard Wagner refusa de signer en 1880 une pétition "Contre l'envahissement des juifs", É. Eugène note très justement : «A l'examen des écrits de 1880/1881, il convient donc dans le cas de Wagner de parler d'antijudaïsme plutôt que d'antisémitisme puisque l'élément biologique et raciste en est absent. Pour Wagner, on peut cesser d'être juif par une conversion. Il n'y a donc pas de fatalisme biologique pour qui que ce soit.»

     Doit-on également rappeler ici que Wagner prit comme "impresario" un Juif, Angelo Neumann, et surtout qu'il confia la création de son testament artistique, Parsifal, au chef d'orchestre Hermann Lévy, fils de rabbin ?... Pour un soi-disant antisémite...

     Mais pour faire bonne mesure, ne voilà-t-il pas que Richard Wagner ne serait pas le fils de son père - autrement dit de Friedrich Wagner (né le 18 juin 1770), juriste et greffier à la direction de la police, acteur amateur et ami du grand écrivain E.T.A. Hoffmann, mort en novembre 1813, quelques mois après la naissance (22 mai 1813) de son second fils, Richard.

     Richard Wagner serait en réalité le fils de Ludwig Geyer, acteur de son état, ami de longue date de la famille, qui épousera Johanna, la mère de Richard, en août 1814. Se doit-on de préciser ici que Ludwig Geyer était d'origine juive ?

     Et voici nos psychanalystes d'occasion se lançant dans une vaste théorie, au terme de laquelle le soi-disant antisémitisme de Richard Wagner trouverait en somme son origine dans un complexe d'Oedipe mal résolue. Rions....

     Le seul (petit) problème, c'est qu'il existe un portrait - non pas de Friedrich Wagner -, mais de son fils aîné, Albert (1799-1874), frère de Richard. C'est ce portrait qui est reproduit, ci-dessus. Et que vous semble-t-il? N'y a-t-il pas, entre ce fils indubitable de Friedrich Wagner et Richard Wagner comme un (petit) air de famille ? Un (petit) air de ressemblance qui serait pour le moins difficilement explicable si Richard était en réalité le fils de Ludwig Geyer...        

Albert Wagner

 
     Quant au fait, non moins indubitable, que Richard Wagner ait d'abord noté dans son autobiographie, Ma Vie, qu'il était le fils de Ludwig Geyer, avant de corriger, cela peut aisément s'expliquer par le fait que son père biologique lui était un parfait inconnu, tandis que celui qui l'avait élevé et l'avait énormément influencé était Ludwig Geyer. De là à penser que Richard Wagner lui-même s'imaginait être le fils de l'acteur, il lui suffisait de regarder Albert, avec lequel il restera en relation toute sa vie, pour se convaincre du contraire...